Il y a quelque temps lors d’une vente, j’avais fait l’acquisition d’une toile dont j’appréciais la vigueur chromatique et la dynamique de la composition.
Cette toile date de la fin des années cinquante et provient de la dispersion de la succession de personnes ayant participé à la vie culturelle parisienne des années 1950 à 1970.
Les premiers renseignements que j’avais trouvés sur cet artiste étaient assez superficiels, mais laissaient penser que l’artiste avait eu une certaine reconnaissance artistique à cette époque. Ce qui était mis en avant était son engagement durant la Seconde Guerre mondiale. Piqué par la curiosité et profitant de quelques moments libres,j’ai poussé un peu plus loin mes investigations. Et j’ai découvert peu à peu un peintre dont la carrière internationale et la réception critique à l’époque étaient bien plus importantes que je l’aurai pensé ! Je partage donc avec vous cette courte synthèse de la vie de Michel Cadoret de l’Epineguen, peintre de la seconde École de Paris, représentant de l’abstraction lyrique dont la vie s’est partagée entre les Etats-Unis et la France.
« Lorsqu’il reparaît, environné de tout un cortège multicolore de sensations, après un périple qui lui a fait découvrir les secrets du nouveau monde, Michel Cadoret apporte à ses amis la preuve rassurante que rien ne compte davantage que l’aventure intérieure… » C’est par ces mots que le critique d’art Jacques Lassaigne débute en 1956 la préface du catalogue de l’exposition des tapisseries réalisée à Aubusson à partir des cartons réalisés par l’artiste à New-York et présentées d’abord à la galerie « the contemporaries » puis à la « galerie Chalette ».
Michel Cadoret de l’Epineguen fut un représentant important de la peinture française dans les années 50 et 60, en son temps il fut distingué par les critiques de Jacques Lassaigne et René Huyghe, fut l’ami d’Alexander Calder et fut exposé, entre autres, avec Zao-Wou-Ki, Hans Arp, Serge Poliakoff… Il était aussi l’ami de Marcel Duchamp, d’Alexander Calder ou Edgar Varese.
C’était un artiste aux semelles de vent, il passa une grande partie de sa vie au Mexique et aux Etats-Unis, à tel point qu’il fut qualifié de plus américain des peintres français par le critique Pierre Courthion.
La vie et l’œuvre de Michel Cadoret sont marquées par l’aventure et le voyage. Il naît à Paris en 1912, le 7 septembre, rue des écoles. En 1924 et 1925 il est élève à l’école Alsacienne et voyage à plusieurs reprises en Allemagne. Puis de 1928 à 1932 il étudie aux Beaux-Arts et y fréquente l’atelier de Lucien Simon. Après son service militaire, il devient précepteur d’un jeune égyptien ce qui lui donne l’occasion de voyager en Grèce et en Egypte où il réside durant six mois.
De retour à Paris il expose au Salon des Tuileries et au Salon d’Automne. En 1937, il réalise un long voyage de plusieurs mois en Colombie, au Venezuela et aux Antilles. De retour en France il expose à Paris au Musée de la France d’Outre-mer sous la présidence de l’auteur réunionnais Ary Le Blond.
À cette période, son style est figuratif, relativement classique dans son expression. On ressent toutefois un attrait pour les formes et les aplats colorés au-delà du sujet. Ce sont des compositions réalisées dans des couleurs sourdes, qui évoquent plus qu’elles ne décrivent les sujets peints.
Après son mariage en 1939, sa vie va basculer avec la seconde guerre mondiale…
Mobilisé, il est fait prisonnier à Sedan en juin. En septembre il réussit à s’évader, il cherche alors à rejoindre la France libre, ce qu’il réussira à faire en 1943, après diverses tentatives dont une qui faillit lui être fatale lorsqu’il fut mis en relation avec le Docteur Petiot. Par chance, son épouse médecin ne crut pas les propos du sinistre Docteur sur son réseau d’évasion, car elle tiqua sur les ongles sales de celui-ci …
Donc en 1943, il réussit à gagner l’Espagne où il est emprisonné quelque temps, puis il rejoint les Forces Françaises Libres à Casablanca. En 1944, il est muté à Londres où il travaille avec le Professeur Vaucher à la création de la « MacMillan Commission for the restitution of Works of Arts » qui était le pendant britannique des « Monuments men » américains. Puis il participe au débarquement en Normandie comme officier de liaison avec les troupes américaines. Il sera ensuite et jusqu’à la fin de la guerre, officier de liaison entre les alliés et la Commission de Récupération des Œuvres d’Art.
En 1946, il est démobilisé à Freudenstadt et y travaille pour illustrer une édition en allemand d’ « Antigone » de Jean Anouilh. Il rentre à Paris où se lie d’amitié avec des artistes comme Oscar Dominguez, Antonin Artaud, Dora Maar, Picasso, mais aussi l’industrielle Marie Cuttoli, et le critique d’art Marcel Zahar.
En 1948, il se rend à New-York où il découvre les artistes américains de l’après-guerre, il présente ses nouveaux travaux à l’historien d’art James-Johnson Sweeney qui l’encourage à poursuivre dans cette voie qui le mènera à l’abstraction. Il retourne aux Etats-Unis de 1949 à 1951 pour participer à une exposition itinérante à l’invitation de l’ambassade de France intitulée « France come to you ». Cette exposition, qu’il accompagne, passe par Boston, San Francisco, La Nouvelle Orléans, Lake Charles et Houston où il séjournera pour publier et illustrer un livre : « Houston by Houstonians ».
Il va ensuite résider jusqu‘en 1953 au Mexique, où il rencontre des peintres surréalistes : Leonora Carrington et Alice Rahon.
Il s’y installe dans le village de Erongaricuaro, dans un ancien moulin.
Durant ce séjour il découvre l’artisanat des autochtones et s’intéresse à leur utilisation des pigments naturels et du tissage. Il organise des ateliers de tissage et de broderie avec la population locale, œuvres qui seront exposées à New-York et qui vont nourrir l’un de ses prochains projets.
Durant son séjour, il va réaliser une fresque dans l’Eglise du village sur le thème de l’apocalypse. Ce sera sa dernière œuvre figurative. Dès lors son travail va suivre les voies de l’abstraction lyrique avec un foisonnement de propositions formelles qui vont parfois perdre les spectateurs et les critiques. Mais il cherche de nouvelles voies pour représenter les réalités colorées que nous percevons ici ou là.
En 1954, il retourne à New-York. Dans un premier temps il y est hébergé dans un appartement prêté par son ami Alexander Calder, puis dans l’atelier de Kurt Seligmann. C’est là qu’il prépare une série de tapisseries qui seront tissées à Aubusson. Il expose ses nouveaux travaux : des monotypes et des dessins à la galerie « The contemporaries ».
Ses recherches et la place qu’il occupe à cette époque sur la scène new-yorkaise font alors de lui l’égal de Motherwell, Pollock, Rothko ou Kline.
En 1955, ses tapisseries et certaines œuvres réalisées au Mexique sont présentées à la Galerie Furstenberg à Paris, puis en 1956 à la galerie « The contemporaries », ainsi qu’à la galerie Chalette à New-York. A cette occasion J.J. Sweeney qui était le directeur du Solomon R. Guggenheim Museum, déclara : « Cadoret vient de démontrer qu’il n’est plus un peintre de goût mais un vrai peintre ».
Lors de l’exposition à la galerie Furstenberg, il présente donc les œuvres exécutées au Mexique dont l’une de ces toiles intitulée « la ville joyeuse » à l’écriture rythmique et au chromatisme coloré qui transcrit son souvenir de New-York sera acquise par l’Etat en 1974.
En 1957, après avoir présenté ses œuvres à la galerie "Chalette" à New-York. Il participe à une nouvelle exposition à Paris à la galerie Creuze « 50 ans de peinture abstraite » exposition organisée à l’occasion de la publication du dictionnaire de Michel Seuphor aux editions Hazan. Avant d’inaugurer une autre exposition de ses toiles et tapisseries au Kolnischer Kunstverein de Cologne où l’une de ses grandes toiles sera acquise par le « Wallrat-Richartz-Museum ». A la même époque il se lie avec les artistes Marcel Duchamp, Edgar Varese et Marc Rothko.
En 1959, il est invité à une exposition à la Galerie Charpentier présentée par le critique et historien d’art Jacques Lassaigne sur l’école de Paris où il enverra, de New-York, trois grandes toiles (Les poids, A Ruth, La rue), le critique écrira : « pour définir l’art de Cadoret, deux mots viennent à l’esprit : liberté et violence (…)les formes picturales s’épanouissent, transcendant émotions et perceptions ». Cette même année, il réalise deux grandes peintures murales à la « New School for Social Research » de la New York University intitulées « Cooperation » et « Welcome » et qui seront inaugurées le 18 novembre 1959.
Hélas, ces deux peintures ont été irrémédiablement dégradées par des travaux postérieurs et lors de leurs redécouvertes dans les années 2000, elles ont été déclarées impossible à restaurer. C’est à partir de 1961 qu’il va enseigner dans cette même université jusqu’à son départ des Etats-Unis en 1963.
En 1960, il présente à New-York à la galerie « Norval » une œuvre-exposition intitulée « la passoire à connerie » avec des toiles et un texte de sa main et une introduction musicale d’Edgar Varese, dont la trace nous est parvenue par une transcription manuscrite de Marcel Duchamp sur un exemplaire du catalogue qui est conservé à Toledo (Ohio), la réception critique de cette exposition est mitigée.
D’un point de vue graphique, à cette époque, les toiles de Michel Cadoret présentent soit des couleurs en pleine pâte travaillées au couteau d’où émerge la source lumineuse du tableau ; soit des formes colorées s’emboitant les unes aux autres autours d’un noyau dont le cercle ou l’arc de cercle est l’élément central. Les grands axes internes prennent au cours des années une tension de plus en plus forte jusqu’à faire éclater les couleurs isolées les unes des autres dans un filet de forme et de ligne.
Les bleus, les jaunes, les rouges, le rose éclatent soit en carrés juxtaposés, soit enserrés dans un filet noir ou de couleur brune. Depuis son expérience mexicaine il a gardé le goût de l’utilisation de matériaux naturels, que ce soit des terres ocres qui lui servent de pigment ou des matières végétales broyées et intégrées dans la peinture (café, noyaux de fruit) ou encore des ficelles ou du raphia qui sont mélangés à la peinture pour expérimenter l’apport de ces matériaux sur la surface de la toile.
Toutes ces expériences chromatiques et l’explosion multidirectionnelle de ses recherches rendent son œuvre difficile à réduire à un style précis. Et son foisonnement créatif est parfois déroutant ce qui rend l’approche de son travail parfois difficile.
En 1961, il expose à la galerie du XXe siècle, sur une présentation des critiques Pierre Restany et Jacques Lassaigne avant de revenir en France en 1963. Cette même année, une monographie lui est consacrée, rédigée par Pierre Courthion et publiée aux éditions Hazan, il est alors représenté par la Galerie Kaganovitch.
A partir de 1968, il travaille de plus en plus le dessin et met au point ses techniques de « micro-dessins » et le travail aux encres acryliques à partir de 1970.
A partir de 1972, il s’installe à Cerny et ne travaille plus que le dessin suite à des problèmes de santé. En 1974 une grande exposition à Saint-Germain-en-Laye présentera une rétrospective de son œuvre, suivie en 1981 d’une exposition à Créteil de ses grands formats.
Il décède dans cette même ville de Cerny le 22 mars 1985. Une dernière exposition en 1988 à la Galerie Yves Gastou présentera ses peintures des années 1950 / 1960 .
L’artiste ayant disparu sans postérité, son œuvre est un peu mise en retrait à partir des années 70, l’abstraction lyrique n’est plus à la mode. Pourtant, on est frappé par la réception critique de son travail dans les années 1950 à 1965au cours desquelles cet artiste a réalisé une œuvre foisonnante qui fut beaucoup exposée et collectionnée. Si certaines de ses toiles ou dessins refont parfois surface dans les ventes publiques, on ne retrouve plus trace des tapisseries réalisées dans les années 50 ni des grandes toiles de la même période.
Le travail de cet artiste mérite d’être redécouvert et que l’on s’y attarde, car il est un témoignage du lien qui existait entre la France et les Etats-Unis au cours de ces décennies qui furent bercées par le courant triomphant de l’abstraction.
Si vous possédez des œuvres, des témoignages, des photographies ou tout autre document sur Michel Cadoret, je serai très heureux d’échanger sur ce sujet avec vous pour poursuivre mes recherches sur cet artiste.
Cedric le Borgne
Gérant d’ARS ESSENTIA, Galerie d’Art, 9 place Felix Ziem, Beaune, Bourgogne, France
Diplômé d’Etudes Supérieures de l’Ecole du Louvre
Bonsoir, savez-vous que Pierre-André Cadoret, petit frère de Michel, à dirigé la Biscuiterie Beaunoise pendant la Guerre?