Comme l’écrit Herbert Logerie dans son poème couleur d’ébène : « La couleur noire est éternelle, et les autres sont éphémères. »
Le noir n’est pas unique, il est multiple : noir d’encre, noir d’ébène, noir de jais, noir d’ivoire…
Toutes ces nuances de noirs nous renvoient aussi à sa dimension polysémique. Couleur du deuil, de l’humilité monastique, du sérieux bourgeois, couleur diabolique, couleur de l’élégance et du luxe, le noir occupe une dimension particulière dans les arts au travers des siècles.
Le noir est-il d’ailleurs une couleur ? A l’âge classique, tout comme le blanc, il a été exclu de la palette colorée. Le noir était une non-couleur, un complément aux trois couleurs primaires et à leur assemblage.
Pourtant, le noir est l’une des plus anciennes teintes de l’art avec les bruns et les rouges. Obtenu à partir de charbon ou de dioxyde de manganèse, cette couleur couvre toutes les compositions des grottes ornées de la préhistoire.
Durant l’époque romaine, les mosaïques sont très souvent réalisées avec un motif noir sur un fond blanc. Dès cette époque, le noir est une couleur ambivalente qui renvoie soit à l’autorité et à l’humilité, soit au monde des morts.
A partir du moyen-âge, cette couleur est associée aux forces du mal. Mais c’est aussi l’époque où le noir devient une couleur luxueuse dont se parent grands bourgeois et princes comme le Duc de Bourgogne Jean sans Peur, et cette dimension perdurera jusqu’à aujourd’hui dans les collections des grands couturiers.
L’invention de l’imprimerie oppose le noir de l’encre au blanc des pages. Les graveurs inventent alors une nouvelle palette monochromatique pour permettre, grâce à la gravure, la diffusion des œuvres des grands peintres.
Puis cette couleur devient la référence du courant romantique, permettant d’exprimer au 19e siècle les sentiments sombres et mélancoliques ou les horreurs de la guerre comme dans la série des « peintures noires » de Francisco Goya.
C’est au 20e siècle que le noir prend une nouvelle place dans l’art, débarrassé de sa seule symbolique négative, cette couleur devient un nouvel horizon des recherches graphiques. Ainsi en est-il du célèbre « Croix noire sur fond blanc » de Kasimir Malevitch, ou encore des recherches sur le noir de Pierre Soulage, André Marfaing ou encore Jackson Pollock, dans des styles très différents.
La galerie Ars Essentia, à travers cette exposition « Noir, couleur éternelle » invite à travers quelques œuvres issues de son fond datant des années 60 à aujourd’hui, à observer le noir sous un autre regard.
Deux « arrachages » de César Baldaccini, images réalisées avec l’utilisation de papiers encrés arrachés de leur support, proposent de voir le dessin non pas comme un ajout de matières que l’on vient poser par touche sur le papier, mais, à l’instar de la sculpture, comme une soustraction de matières où la forme apparait au fur et à mesure que le sculpteur taille son bloc de pierre.
Les tableaux de Michel Cadoret et Oscar Troneck montrent l’utilisation du noir soit comme une couleur qui va structurer l’œuvre à travers des grands dépôts de matières de cette couleur dans différentes densités de la palette des noirs, ou comme un fond qui met en exergue les couleurs d’une composition constructiviste.
Les œuvres exposées de Jacques Germain et Rudolf Wiesinger constituent deux approches dans l’utilisation des opposés noir et blanc. Pour l’œuvre de Jacques Germain, il s’agit d’une étude monochrome qui cherche à donner la force de composition tout en créant la couleur dans la fusion des noirs profonds, mélangés peu à peu au blanc et à une touche de bleu.
Les tableaux de Rudolf Wiesinger révèlent eux la densité de leur fond noirs par les touches de peinture blanche qui viennent « obscurcir » ce fond d’un noir profond et lumineux.
Enfin les abstractions-paysages de Tan Jia-Chung sont un apport de la peinture chinoise qui n’utilise que l’encre noire, l’outil du lettré, et ses nuances pour rendre les couleurs et les formes du monde, un peu à la manière des photographies en noir et blanc.
Enfin une œuvre du plasticien Jeff D-Philippot réalisée à partir d’une image de scan 3d, et issue d’un mélange d’impression par jet d’encre et de peinture, interroge la frontière entre l’image saisi par les nouvelles technologies et la représentation traditionnelle du portrait peint.
Le noir est bien un territoire infini qui ne se limite pas à sa seule absorption de la lumière.
Exposition à la galerie ARS ESSENTIA, 9 place Felix Ziem 21 200 Beaune du 6 mars au 10 avril.
Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 19h, le samedi de 10h30 à 19h00 et en dehors de ces horaires, sur rendez-vous privés le reste de la semaine.
Comments